Les 25 000 ouvrages qui composent aujourd’hui le fonds ancien de la Bibliothèque Municipale ont été pour l’essentiel acquis entre l789 et 1914. Une première bibliothèque a vu le jour à Gray pendant la période révolutionnaire suite au sauvetage de nombreux ouvrages et manuscrits effectué par les Graylois dans les bibliothèques des congrégations enseignantes de la ville, des abbayes voisines et des demeures des émigrés. Voulant favoriser la diffusion des connaissances et la formation des nouveaux citoyens, les édiles décidèrent de transformer le dépôt de livres et d’œuvres d’art ainsi constitué en bibliothèque ouverte au public. La première bibliothèque prit place dans l’ancien couvent des Cordeliers (aujourd’hui détruit, à côté du Palais de justice et de l’actuelle gendarmerie). C’est en 1859 que fut édifiée l’actuelle bibliothèque jouxtant l’Hôtel de ville, en tant que bâtiment autonome, le XIXe réalisant le programme architectural des Lumières. Dotée de lambris de hauteur et d’une galerie ceinturant la pièce, elle fut conçue comme un lieu d’apparat communiquant avec le bureau du maire. Elle ouvrit ses portes au public le 1er janvier 1860.
Le classement des ouvrages est celui de la première moitié du XIXe siècle : les ouvrages sont répartis dans des sections thématiques (littérature, droit, géographie et voyages, histoire, arts, sciences naturelles, religion…). La seconde salle dédiée à la consultation conserve les fonds d’ouvrages concernant la Bourgogne, la Franche-Comté, Gray, les grands dictionnaires ainsi que la presse locale.
Un des ouvrages les plus anciens de la bibliothèque est un manuscrit sur parchemin protégé par des plats de couverture en bois (ais) et illustré de lettrines enluminées : c’est le Commentaire des épîtres de Saint-Paul qui provient de l’abbaye de La Charité de Neuvelle-les-La Charité (fondée en 1133, Haute-Saône) et date des XIIe-XIIIe siècles.
A côté des manuscrits des XIIe-XIXe siècles dont les registres des impératrices Joséphine et Marie-Louise – épouses successives de Napoléon – la bibliothèque conserve des incunables – premiers ouvrages imprimés sur papier sur des presses – dont les caractéristiques physiques sont les suivantes : ais en bois ou en « carton », absence de page de titre, présence d’un incipit (« ici commence ») et d’un colophon (date et/ou lieu…), répartition du texte en colonne façon parchemin… Les incunables sont des ouvrages édités entre 1452 et 1501. De 1501 à 1510 on parle de post-incunables et ensuite de livres anciens. Parmi les 18 incunables de la bibliothèque de Gray on peut citer : L’Ethique d’Aristote de Jean Buridan imprimé à Paris en 1489, La Consolation de la philosophie de Beotius imprimé à Lyon en 1480, l’Histoire du monde (Fasciculus temporum) du moine chartreux Werner Rolevinck imprimé à Lyon vers 1495.
Sont conservés à la bibliothèque de nombreux ouvrages des XVIe, XVIIe et XVIIIe qui reflètent les curiosités des sociétés de ces époques : textes des auteurs antiques et des philosophes, livres d’histoire, de voyages, de sciences naturelles, de droit, de controverses religieuses, de médecine…
Accès au fonds ancien : Vous pouvez venir faire des recherches au fonds ancien en prenant rendez-vous au 03 84 65 69 01 afin de donner des precisions sur vos recherches.
Attention : le fonds ancien n’est pas encore totalement informatisé.
La part des photographies dans les collections
de la bibliothèque patrimoniale
La Belle Epoque chante le bonheur et le goût de vivre des brèves, lumineuses, allègres et dansantes années 1890-1914 célèbrant les charmes de la vie, les plaisirs, la créativité et la vitesse. De grands photographes amateurs graylois de ces années d’avant-guerre : Eugène Noir (1855-1904), Louis Guichard (1866-1934), Henri Gourdan de Fromentel (Gray, 1858-1914) et Albert Bergeret (1859-1932). C’est dire que Gray – muse, inspiratrice – et la photographie ont connu des moments particulièrement féconds qui disent l’âme d’une ville et d’une époque et une implication profonde dans l’acte de lire, de décrypter let d’interpréter le monde. L’enfance, les demeures, les jardins et la vie familiale, les parties de campagne, la vie de la Saône ou les manœuvres militaires, comptent parmi leurs sujets de prédilection qui communiquent l’ineffable d’une époque et leur passion pour ce tout jeune art qu’était la photographie.
Un millier de plaques photographiques d’Eugène Noir sont conservées grâce à François Javelier et à Bernard Vienet dans les fonds patrimoniaux de la Bibliothèque Municipale de Gray. Elles sont complétées par quelques plaques et tirages d’Albert Bergeret et du médecin Henri Gourdan de Fromentel.
Petite histoire de la pratique de la photographie à la Belle Epoque
La photographie s’est considérablement perfectionnée depuis son invention par Nicéphore Niépce en 1824 et l’acquisition du procédé Daguerre/Niépce par l’état français en 1839. La gamme des appareils photographiques s’est élargie, allégée et nomadisée ; les temps de pose se sont écourtés et le coût du matériel s’est abaissé le rendant accessible à la petite et moyenne bourgeoisie.
De nombreux traités, bulletins et fascicules diffusent en ampleur dans la société française les connaissances liées à la photographie : la Bibliothèque Municipale de Gray offrait dès 1882 une quinzaine d’ouvrages et documents de vulgarisation à ses lecteurs. Les sociétés de photographes amateurs se multiplient également : Lucien Guichard fut un membre actif de celle de la Haute-Saône.
Eugène Noir utilisait au moins six appareils qui prenaient des vues de formats différents (6 x 9, 9 x 12, 12 x 20, 13 x 18), dont un appareil à deux objectifs permettant de restituer la vue photographique en 3D à partir de deux clichés pris simultanément. Il a acquis un nouvel appareil photo chez Nadar lors de l’exposition universelle en juin 1889 : une chambre express 15 x 21. Le docteur Fromentel faisait usage d’au moins une dizaine d’appareils, quant à Louis Guichard on lui connaît deux appareils photo : une chambre touriste 13 x 18 et un appareil plus mobile : un folding 6 x 9.
Eugène Noir : repères biographiques
1855 – Naissance de François Eugène Noir à Gray, fils de Claude François Noir, marchand épicier et de Thérèse Anney. Claude François Noir donne un essor exceptionnel à son commerce au point d’en faire l’une des premières maisons grayloises et prend des participations dans de nombreuses affaires commerciales et bancaires. Il fait construire une maison au 19 Grande rue à Gray qui abrite son entreprise et son domicile et deviendra un des horizons de l’activité photographique de son fils.
Au bonheur de la photographie
Eugène Noir mène la vie d’un rentier aisé, accomplit de nombreux voyages en France et à l’étranger et se passionne pour le cyclisme et la photographie. Il est, comme Louis Guichard, l’ami de Gilbert Roux et du docteur Fromentel ; ils accomplissent ensemble des « reportages » photographiques et créent des cartes postales à partir de ceux-ci qui seront commercialisées par la maison Bergeret.
1881– Mariage avec Anne Marie Valentine Garnier à Gray
1883– Naissance à Gray de Marguerite Marie-Thérèse Noir.
1904– Décès d’Eugène Noir à Gray ; il est inhumé au cimetière de Gray
La bibliothèque conserve également des notes d’Eugène Noir relatives à des souvenirs de voyages en France. Une partie de ce fonds a été numérisé par Bernard Vienet à partir de ses tirages.
Au miroir des arts :
émancipation et liberté de ton de la jeune photographie
Louis Guichard et Eugène Noir rendent palpables l’intrication entre peinture et photographie que vivent les photographes amateurs à la fin du XIXe siècle. Le récent médium qu’est la photographie avance aussi avec les héritages ; si la peinture ne cesse de mourir et de disparaître pour se renouveler à chaque époque, le monde sera toujours sauvé par l’art dont entend participer la photographie, machine à faire du nouveau et à faire revenir le monde.
Amateur, le jeune Louis Guichard, âgé d’une vingtaine d’années, se donne un programme tout personnel. Au seuil de son existence de photographe, il entre dans celle-ci en invitant la peinture, qui semble alors remplir tout l’espace artistique, dans un débat qui la met en déroute et lui fait pièce. Avec ses amis, fils de famille comme lui – dont le peintre bisontin Louis Baille – il rejoue l’iconographie de tableaux célébrissimes de La Leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt (1632) à Premier deuil de William Bouguereau, le peintre le plus célèbre et le mieux rémunéré de son temps, professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et à l’Académie Jullian, qui venait de présenter cette œuvre au salon de 1888. La transposition et le rejeu du Premier deuil sous forme de photographie agit comme un révélateur implacable et provoque un choc esthétique féroce, grotesque et hilarant qui neutralise un art académique aveuglant la société française. Ethnographe des épaisseurs de l’image, Louis Guichard transforme un happening du salon en humiliation et joue par le choix de la thématique de ses sujets sur la mort métaphorique de la peinture.
Insolent, frondeur, expérimentateur talentueux et habité d’une vraie vision, il dynamite aussi de l’intérieur sans se prendre au sérieux d’autres champs artistiques, tels le théâtre de boulevard ou la littérature et, ce faisant, revendique une place d’honneur pour la photographie.
Gray secret, Gray public dans la photographie : chroniques d’amour
C’est Gray et son potentiel romanesque et fictionnel, sa physionomie, son humeur particulière, son battement de vie, ce qui se joue en elle, son unité de temps, de lieu et d’action qui font lien entre nos photographes Belle Epoque. Le bonheur familial est un sujet ingrat qu’ils ont traité avec grâce et amoureusement cadré : les jardins, cours et terrasses privés, les demeures du cercle amical, les jeux d’extérieur ou les parties de campagne respirent l’enfance en un hymne tendre, vibrant et lumineux où la complicité des êtres fait merveille. La beauté des plans, où familles et amis entremêlent leur destin immobile ou en mouvement le temps d’un après-midi, forment poèmes et sortilèges anesthésiant une part autobiographique exposée à la vérité de l’instant présent attendue et convenue.
Cette peinture du monde connu n’exclut cependant pas les recherches esthétiques : Eugène Noir nous invite à vivre la course des nuages, à regarder derrière les miroirs que sont les fenêtres ou les balcons ou à découvrir un Gray minéral et déserté de toute présence humaine. Louis Guichard saisit dans une même audace narrative, dans une écriture enlevée et une mise en scène inventive les stéréotypes de son temps, comme la violence symbolique des rapports de classe. Le flegme et la séduction frelatée très Belle Epoque de son Ami Marcel, dandy narcissique et dom juan impénitent, trouve son exact pendant dans le bourgeois avachi – anti héros – saisi en raccourci et en plongée ; ces deux coups de maître disent par ricochet la crise identitaire des hommes de la fin du XIXe siècle. Quant aux visages trop mûrs et précocement vieillis des enfants travailleurs au regard inquiet du Saut du Doubs (1887) ils annoncent les destins vaincus et les vérités douloureuses de « gueules cassées ».
Gray - et ses environs - est par la magie du regard de ces photographes un chantier culturel, une ville vouée à l’art qui bouscule les codes de la narration et se refuse à l’oubli.
Louis Guichard : repères biographiques
1866 – Naissance de Louis Guichard à Besançon, fils de Paul Guichard, pharmacien et d’Olympe Sirand
1884 – Bachelier à Besançon
Les belles années de la photographie
1887 – Premières photographies connues rassemblées par lui-même dans un album annoté
1888 – Album photographique intitulé Souvenirs d’un gentil voyage à Auxonne
1892 – Diplômé de pharmacie à la faculté de pharmacie de Paris, location de la pharmacie de la Place de l’Hôtel de ville et installation à Gray
1898 – Mariage avec Marie-Louise Ferreux en l’église Saint-Maurice de Besançon
1898 – Naissance à Gray d’Anne-Marie Guichard qui épousera le peintre et photographe Veno Pilon qui s’attacha à faire connaître l’œuvre de son beau-père et fit entrer 35 de ses clichés au sein des collections de la Bibliothèque Nationale
1899 – Naissance à Gray de Marguerite Marie Guichard
1901 – Naissance à Gray d’Elizabeth Guichard
1902 – Naissance à Gray de Xavier Guichard
1903 – Naissance à Gray de Paul Guichard
1909 – Décès de Paul Guichard à Besançon ; fin du bail commercial de la pharmacie de Gray
Adieu l’artiste !
1910 – Louis Guichard quitte Gray pour Neuilly-sur-Seine et prend les fonctions de sous directeur du laboratoire pharmaceutique Adrian à Paris ; il cesse de pratiquer la photographie
1922 – Louis Guichard est nommé chef de service du laboratoire pharmaceutique COMAR à Paris
1927 – Louis Guichard se retire à Jallerange (Doubs)
1934 – Décès de Louis Guichard à Jallerange ; il est inhumé au cimetière Chaprais à Besançon
Environ 400 photographies et/ou plaques de Louis Guichard et plusieurs albums sont conservés par ses descendants.
Cette présentation est illustrée par un cliché photographique d’Eugène Noir dédiée à sa fille Marguerite Noir et à sa cousine (d'après plaque photographique)